Qu'est-ce que l'anthropologie?
1 PRÉSENTATION
Anthropologie, étude des caractéristiques anatomiques, biologiques, culturelles et sociales des êtres humains.
Cette science est divisée en deux branches principales : l’anthropologie physique, qui étudie l’évolution biologique et l’évolution physiologique de l’homme (Homo sapiens), et l’anthropologie sociale et culturelle, qui étudie la vie des sociétés humaines, présentes et passées, les évolutions de leurs langues, des croyances et des pratiques sociales. L’objet général de l’anthropologie est de faire de l’homme et de toutes les dimensions de la vie humaine l’objet d’un savoir positif.
L’anthropologie constitue un champ de recherche fondamentalement pluriculturel. Les premières études anthropologiques concernaient les peuples et les cultures autres qu’occidentales, alors qu’un grand nombre de recherches récentes décrivent également les cultures de l’Occident. Les anthropologues travaillent principalement sur le terrain, mettant l’accent sur les expériences de première main et l’immersion de l’observateur dans les activités, les pratiques et les croyances d’une société ou d’un groupe social.
2 HISTOIRE
L’historien grec du Ve siècle av. J.-C. Hérodote est peut-être le premier à avoir entrepris de véritables enquêtes anthropologiques. Séjournant parmi différents groupes culturels en Asie Mineure, en Égypte et à Cyrène, il observa et analysa leur mode de vie. À l’instar des anthropologues modernes, il interrogeait des « informateurs-clés » afin de prendre la mesure véritable des spécificités culturelles qu’il observait sur le plan de l’organisation familiale, politique et religieuse. Dans un esprit similaire, l’historien romain Tacite, au premier siècle de notre ère, décrivit, dans son ouvrage Germania (98 apr. J.-C.), les caractéristiques, les coutumes et la répartition géographique des peuples d’outre-Rhin.
À l’époque moderne, les récits de voyageurs, comme ceux de l’explorateur Marco Polo, qui parcourut la Chine et les autres régions d’Asie (1271-1295), contribuèrent beaucoup à élargir le champ des connaissances sur les peuples et les cultures extra-européennes, notamment ceux du Nouveau Monde et des mers australes.
Les premières grandes théories concernant l’évolution de la civilisation humaine furent formulées au XVIIIe siècle par des philosophes des Lumières, tels Turgot et Condorcet. Ces idées, qui à certains égards anticipaient sur la théorie de l’évolution, se heurtaient aux explications bibliques de la Création ainsi qu’au dogme théologique selon lequel les sociétés non-européennes constituaient des vestiges de groupes auxquels la grâce de Dieu avait été refusée et qui étaient ainsi condamnés à une condition « primitive ».
La découverte, en 1856, d’un fossile néandertalien en Allemagne et celle des restes d’un homme de Java (Homo erectus ou Pithecanthropus erectus) dans les années 1890 vinrent attester l’extrême lenteur du processus de l’évolution de l’homme. D’autres découvertes, dont un amoncellement de silex taillés, mis au jour par Boucher de Perthes, près d’Abbeville, dans les alluvions de la Somme, rendaient de plus en plus vraisemblable la « haute antiquité de l’homme », l’idée que la préhistoire humaine avait sans doute duré des centaines de milliers d’années. À peu près à la même époque, des archéologues danois de Copenhague parvinrent, à partir de fouilles systématiques, à retracer le séquencement dans le temps et l’évolution des outils de l’âge de pierre à l’âge du bronze, puis à l’âge du fer. L’archéologie devenait une alliée précieuse pour la discipline naissante que constituait l’anthropologie.
L’anthropologie sociale ou ethnologie devint un champ de recherche indépendant vers le milieu du XIXe siècle. Lewis Henry Morgan, le fondateur de cette discipline en Amérique du Nord, effectua un travail de recherche impressionnant sur les Indiens iroquois, instaurant la recherche sur le terrain comme méthode spécifique de l’anthropologue. Plus tard, Morgan établit une théorie globale de l’évolution culturelle, définissant trois étapes générales : l’état « sauvage », l’état « barbare », caractérisé par la domestication des animaux et les débuts de l’agriculture, puis l’état de « civilisation », dont l’apparition coïncide avec l’invention d’un alphabet. L’autre fondateur de cette discipline, l’ethnologue britannique Edward Burnett Tylor, élabora une théorie de l’évolution de l’homme plus spécialement axée sur les origines de la religion et mit l’accent sur une méthode comparative dans l’exploitation des données ethnographiques. Tylor, Morgan et leurs contemporains insistèrent sur la rationalité des cultures humaines et sur leur nature essentiellement évolutive.
Bronislaw Malinowski, le fondateur de l’école fonctionnelle d’anthropologie, estimait que les organisations humaines devaient être étudiées au sein de leur environnement culturel. Il fut l’un des premiers anthropologues à partager longtemps la vie des peuples qu’il étudiait, en l’occurrence les peuples des îles Trobriand, et à apprendre leur langue et leurs pratiques sociales.
Opposé à l’évolutionnisme de Morgan et au fonctionnalisme de Malinowski, Claude Lévi-Strauss, intégrant des données de phonologie et de linguistique structurale, s’attacha à la notion de structure à partir de l’étude minutieuse des relations sociales. Le premier champ d’application de sa méthodologie fut l’étude des Structures élémentaires de la parenté (voir structuralisme (sciences humaines)).
3 ANTHROPOLOGIE PHYSIQUE
L’anthropologie physique concerne principalement l’évolution de l’homme, la biologie humaine et l’étude des autres primates.
3.1 Évolution de l'homme
Une branche de l’anthropologie physique, la paléontologie humaine, s’attache à l’étude de l’hominisation, c’est-à-dire à l’évolution qui a conduit à l’individualisation du rameau humain par rapport aux primates, puis à l’émergence de la pensée. Cette discipline a connu de récents développements, grâce notamment au travail d’une famille de paléoanthropologues : Louis Seymour Leakey, sa femme, Mary Leakey, et leur fils, Richard Leakey. Leur découverte, dans les années 1960, d’une série de fossiles dans les gorges d’Olduvai, en Afrique orientale, a conduit les scientifiques à reconsidérer leur appréhension de l’évolution biologique des êtres humains. Des restes fossilisés découverts à la fin des années 1970 et 1980 apportèrent une preuve supplémentaire de l’existence du genre Homo en Afrique de l’Est il y a 1 à 3 millions d’années, aux côtés d’autres formes avancées d’hommes-singes, appelés australopithèques. Ces deux hominidés descendent vraisemblablement d’un fossile éthiopien, l’Australopithecus afarensis, âgé de 3 à 3,7 millions d’années (la fameuse « Lucy », un squelette découvert en 1974). Ces ancêtres lointains des humains étaient déjà bipèdes, libres de se servir de leurs mains pour manipuler des objets.
Des objets grossiers en pierre, découverts près de fossiles Homo dans des sites d’Afrique orientale, permettent de faire remonter la fabrication des outils et leur utilisation à environ 3 millions d’années. L’adresse technique dont ils témoignent contribua au succès évolutionniste de l’espèce et valut à ces premiers hommes le nom de Homo habilis (« homme adroit »). Contrairement à ses ascendants australopithèques, qui étaient végétariens, notre ancêtre Homo habilis prit vraisemblablement goût à la viande, à en juger par la conformation de sa denture et l’utilisation qu’il faisait de ses outils.
Le nombre et l’ancienneté des fossiles hominidés africains semble indiquer que c’est en Afrique, et non en Asie, qu’il faut chercher le berceau de l’humanité. Les récentes découvertes d’Homo habilis font état d’une créature mesurant à peine 91 cm de haut. Le développement cérébral normal de ces individus à l’âge adulte était d’environ 750 cm3. Toutefois, des restes d’espèces Homoplus grandes, dotées d’une cavité crânienne supérieure à 900 cm3 et âgés d’environ 1,5 million d’années, ont été découverts en Afrique de l’Est. Ce protohumain de grande taille, appelé aujourd’hui Homo erectus, se propagea d’Afrique en Europe et en Asie il y a vraisemblablement un million d’années, en développant un plus large éventail d’outils.
Les restes les plus connus d’Homo erectus sont ceux du célèbre homme de Java, anciennement connu sous le nom savant de Pithécanthrope, et ceux du non moins célèbre homme de Pékin, des fragments de squelette découverts à Zhoukoudian (Choukoutien) près de Pékin, et appelés à l’origine Sinanthropus pekinensis. Tous deux sont plus récents que les restes d’Homo habilis d’Afrique de l’Est : ils ont entre 750 000 et 300 000 ans. Des fossiles d’Homo erectus ont également été trouvés en Europe et en Afrique, avec de nombreux outils en pierre et d’autres signes témoignant d’une culture simple, reposant sur la chasse et la cueillette. À Zhoukoudian, les archéologues ont découvert la plus ancienne trace de l’utilisation du feu par l’homme et des signes de cannibalisme.
Selon certains anthropologues, les spécimens néandertaliens et les douzaines de fossiles apparentés constitueraient les ancêtres directs de la race humaine ; d’autres estiment qu’il s’agit d’une branche d’Homo sapiens qui se serait éteinte il y a des dizaines de milliers d’années. Entre 100 000 et 35 000 ans avant notre ère, les hommes de Neandertal formaient un peuple important de chasseurs-cueilleurs répartis dans la plus grande partie de l’Europe et du Proche-Orient. Ils présentaient une constitution robuste, des arcades frontales épaisses et une boîte crânienne d’environ 1 500 cm3, supérieure à celle de l’Homo sapiens sapiens moderne (l’espèce à laquelle nous appartenons). Certains fossiles appartiendraient à une catégorie intermédiaire à celle de l’homme de Neandertal et de l’Homo sapiens sapiens. De tels restes humains suggèrent l’existence de croisements entre les peuples néandertaliens et les ancêtres directs des humains, mais ils témoignent peut-être simplement de l’immense diversité d’une même population d’Homo sapiens.
Le continent américain ne recèle pas de fossiles humains de plus de 15 000 ans, les quelques spécimens âgés de plusieurs milliers d’années appartenant tous à la catégorie des Homo sapiens sapiens. Il est donc clair que l’évolution biologique ayant conduit à l’humanité moderne s’est déroulée dans l’Ancien Monde.
3.2 Biologie humaine
Cette autre branche majeure de l’anthropologie physique étudie les peuples contemporains dans leurs caractéristiques biologiques. La plupart des recherches anciennes s’attachaient à identifier, recenser et étudier les caractéristiques « raciales » des différents groupes humains. Cependant, le concept même de race est d’interprétation délicate et a fait l’objet d’utilisations idéologiques très contestables. Le perfectionnement des techniques utilisées pour mesurer la couleur de la peau, celle des yeux, analyser la texture des cheveux, le groupe sanguin, la forme du crâne et les caractéristiques génétiques rendent la classification des races plus complexe : elle n’a plus toujours un rapport immédiat avec les caractéristiques physionomiques les plus frappantes. L’idée de « races pures » ou de l’existence d’archétypes ancestraux est aujourd’hui une thèse caduque. Tous les êtres humains actuels appartiennent en réalité à la même espèce d’Homo sapiens sapiens, et ils sont issus de la même ascendance complexe. Les caractéristiques génétiques varient cependant dans le temps et selon les régions, par des phénomènes d’adaptation biologique à l’environnement, ou en vertu d’un processus génétique naturel d’homogénéisation, qui est caractéristique de toute population isolée géographiquement. De fait, la classification des humains en races relève davantage du constat social et politique que d’une réalité biologique. Les catégories « asiatique », « noir » ou « blanc » définissent des groupes sociaux et mêlent propriétés génétiques et caractéristiques culturelles.
Les anthropologues biologistes s’intéressèrent par la suite à la complexité du schéma génétique humain. Ils étudièrent les interactions entre les adaptations génétiques et les changements physiologiques et culturels (non-génétiques) liés à la maladie, la malnutrition et les contraintes de l’environnement comme l’altitude ou la chaleur.
3.3 Étude des primates
Les primates et les êtres humains ayant des caractéristiques génétiques communes, l’étude des comportements, des dynamiques de population, des habitudes alimentaires, etc. propres aux babouins, chimpanzés, gorilles et autres primates fournit des éléments de comparaison essentiels à l’anthropologie. Des anthropologues, sous la direction de Jane Goodall, passèrent des années à observer des chimpanzés en liberté dans un parc national de Tanzanie. Ils découvrirent que les chimpanzés étaient capables d’utiliser des outils simples, notamment des petits bâtons pour « pêcher » les termites et les fourmis, et qu’ils pouvaient jeter avec adresse des pierres et des bâtons. Lors d’une expérience, ils observèrent des chimpanzés en train de manier de lourds bâtons pour « frapper » un léopard empaillé. Les primates communiquent entre eux par la voix et le geste. Des études sur les schémas de communication et la vie en groupe des singes et des anthropoïdes fournissent des éléments de compréhension du lointain passé de l’évolution de l’homme.
4 ANTHROPOLOGIE SOCIALE ET CULTURELLE
Dans ce domaine, une grande partie des recherches s’effectue sur le terrain, au sein des différents groupes humains qui peuplent le monde. Entre 1900 et 1950, ces études permirent de prendre la mesure de la diversité des modes de vie des humains avant que l’identité de certaines cultures non-occidentales ne soit altérée par le progrès et l’européanisation. Les recherches portant sur la production de la nourriture, l’organisation sociale, la religion, les habitudes vestimentaires et culinaires ainsi que la culture et les langues entrent dans le champ de l’ethnographie, discipline qui se veut uniquement descriptive. L’analyse comparative des descriptions ethnographiques, la recherche des principes universels auxquels obéissent les différents schémas culturels constituent la tâche propre de l’ethnologie, ou anthropologie sociale et culturelle.
4.1 Organisation familiale et sociale
L’un des postulats fondamentaux de l’anthropologie sociale et culturelle, telle qu’elle s’est développée depuis le XIXe siècle, est l’idée que les liens de parenté sont au cœur de l’organisation sociale de toute société. Dans la plupart des sociétés, les principaux groupes sociaux sont constitués sur la base des clans et des lignages. Lorsque l’appartenance au groupe parental est fondée sur l’ascendance paternelle uniquement, on parle d’un système de filiation patrilinéaire. Les sociétés matrilinéaires, dans lesquelles l’appartenance au groupe est fondée sur l’ascendance maternelle, sont rares aujourd’hui. Hérodote fut le premier historien à décrire un tel système, chez les Lydiens d’Asie Mineure. Plusieurs groupes d’Amérindiens, dont les Iroquois, les Cherokees et les Creeks, présentent une organisation matrilinéaire.
L’organisation parentale bilatérale, dans laquelle l’appartenance au groupe est fondée sur les deux ascendances, maternelle et paternelle, prévaut dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs (chez les Inuit, par exemple, ou les peuples du désert du Kalahari, en Afrique australe).
Dans toutes les sociétés parentales, les membres d’une famille, d’un clan ou de tout groupe parental possèdent généralement un ancêtre commun. Ainsi, il arrive que des groupes de familles se considèrent comme les descendants d’un même ancêtre, dit ancêtre « totémique ». Ce concept est un facteur qui permet à lui seul d’unifier un grand nombre de peuples en période de guerre ou d’activités rituelles, en leur forgeant une identité distincte de celle de leurs voisins et ennemis. Parmi certains « peuples nomades » d’Asie centrale qui s’attaquèrent pendant des siècles aux sociétés sédentaires d’Asie et d’Europe, l’organisation militaire complexe reposait sur une filiation patrilinéaire.
4.2 Associations volontaires
Certains groupes culturels présentent une organisation sociale qui ne repose pas sur la parenté. Les Indiens des Plaines se distinguent par des « sociétés militaires » regroupant des hommes qui combattaient et festoyaient ensemble, tout en assumant certaines fonctions de « police » lors de chasses aux bisons organisées par la communauté. Les tribus Zuñi, Hopi et les autres communautés indiennes de l’Arizona et du Nouveau-Mexique ont conservé des fraternités religieuses, source d’une vie cérémoniale riche et élaborée. Dans certains groupes culturels d’Afrique occidentale, des sociétés secrètes exercent un contrôle social.
4.3 Évolution des organisations politico-sociales
Les sociétés humaines autrefois considérées comme « de structure simple » sont les groupes de chasseurs-cueilleurs comme les Inuit, les Bochimans de Kalahari, les Pygmées du Congo et les aborigènes d’Australie. Parmi ces peuples, un petit nombre de familles sont regroupées en groupes nomades d’environ 30 à 100 individus, tous parents et attachés à un territoire particulier.
Les rares groupes vivant encore de la chasse et de la cueillette (dans certaines régions de l’Afrique, de l’Inde et des Philippines) servent d’exemple hypothétique de ce que fut l’organisation sociale et culturelle durant l’histoire de l’humanité. Le système de parenté, l’idéologie religieuse, les pratiques prophylactiques et médicales, et les caractéristiques culturelles de ces peuples sont simples et peuvent être facilement étudiées.
Des systèmes économiques et sociaux plus complexes n’étaient envisageables qu’en présence d’une source de nourriture régulière et stable, permettant la sédentarisation des premières communautés humaines. C’est pourquoi l’invention de l’agriculture et de l’élevage représenta un apport culturel crucial. Elle coïncide avec ce qu’on appelle la transition néolithique qui, selon les dernières découvertes archéologiques, eut lieu au Proche-Orient et en Asie orientale il y a environ 12 000 ans. Avec l’augmentation de la population et la sédentarisation, les organisations socio-politiques se sont développées, reliant de nombreux groupes locaux. Ces nouveaux systèmes sociaux rassemblaient souvent plusieurs milliers de personnes en groupes, composés de différentes communautés qui s’intégraient progressivement les unes aux autres par le biais de pratiques religieuses communes et par l’échange de nourriture.
Bien que les petits groupes ne fussent généralement pas dotés de « gouvernement central », l’augmentation de la population et des ressources alimentaires rendit possible, voire nécessaire, une organisation politique centralisée.
4.4 Émergence des États-nations
Les conditions de formation des États-nations sont diverses. Dans les régions du Proche-Orient, par exemple, il semble que les premiers États-villes se soient développés lorsque l’accroissement de la population et l’augmentation des besoins alimentaires qui s’ensuivit nécessitèrent la mise en œuvre de vastes projets d’irrigation. Dans d’autres cas, un emplacement stratégique sur une route commerciale (Tombouctou, par exemple, qui se trouve sur la route de commerce du sel dans le Sahara) favorisa la centralisation administrative et militaire.
Ces États ou ces royaumes naissants se sont rapidement étendus, englobant les régions voisines par une domination économique ou militaire. Les premiers sites urbains au Proche-Orient, en Égypte, dans le nord de l’Inde, le sud-est de l’Asie, la Chine, le Mexique et le Pérou possèdaient déjà des fortifications militaires, généralement assorties de constructions somptueuses à vocation religieuse (les temples, les pyramides égyptiennes, les kivas pueblos, les ziggourats mésopotamiennes) marquant l’émergence d’un clergé organisé. Ces premières villes accueillaient en conséquence une société stratifiée, composée d’une élite militaire et religieuse minoritaire, et d’une population de paysans et d’ouvriers asservis.
4.5 Développement des systèmes religieux
Les systèmes de croyances des groupes de chasseurs-cueilleurs peuvent paraître complexes, car ils font appel à un monde surnaturel, aux « forces de la nature » et à l’intervention des esprits et des dieux. Les groupes de chasseurs-cueilleurs relativement égalitaires et restreints en nombre ne disposaient généralement pas de prêtres à temps plein. Toutefois, il y existait toujours des chamans, des hommes ou des femmes censés être en contact direct avec les êtres et les forces surnaturels qui leur avaient transmis le pouvoir de résoudre différents problèmes, les maladies, par exemple.
Dans les petites sociétés qui pratiquent l’agriculture, les systèmes religieux de la communauté mobilisent les individus dans des rites complexes, où les responsabilités sacerdotales sont assumées à tour de rôle. Le groupe familial constituant l’élément de base, les cérémonies sont souvent centrées sur la famille ou le lignage.
L’émergence de systèmes sociaux centralisés avec une stratification sociale s’accompagne presque toujours du développement d’une organisation religieuse ecclésiastique avec des prêtres à temps plein, des rites complexes impliquant l’ensemble de la population et une tendance accrue à la réglementation morale et politique. Ces systèmes religieux complexes sont rarement parvenus à éliminer les pratiques individuelles de chamanisme (notamment pour guérir les maladies) ou les observances religieuses axées sur la famille.
Des découvertes archéologiques datant des premiers royaumes-villes attestent d’un partenariat étroit et fréquent entre les chefs religieux et les dirigeants politiques et économiques : la religion joue ainsi un rôle important comme force conservatrice. D’un autre côté, les mouvements de réforme sociale radicale sont, à l’origine, très souvent des mouvements religieux. Même dans les sociétés modernes, l’apparition de nouvelles formes religieuses porteuses d’un message social réformiste est fréquente et ne manque pas de susciter troubles politiques et persécutions (Réforme en Allemagne au XVIe siècle, mouvement bahaï en Iran au XIXe siècle).
4.6 Développement de la culture
Les schémas assez simples d’évolution culturelle proposés au XIXe siècle ont beaucoup évolué au fil des découvertes archéologiques et ethnologiques. Certains anthropologues du début du XXe siècle, dont l’Américain d’origine allemande Franz Boas et l’Américain Alfred Kroeber, adoptèrent un point de vue antiévolutionniste. Ils estimaient que les processus culturels et sociaux étaient si différents à travers le monde qu’il était impossible de schématiser des étapes ou des tendances générales.
Deux explications fondamentalement différentes de l’évolution culturelle ont été élaborées. La doctrine évolutionniste reçue au XIXe siècle soutenait qu’il doit exister une unité psychique fondamentale de l’humanité, puisque des processus similaires d’élaboration et de développement culturels apparaissent dans des sociétés différentes. Ainsi, les similitudes dans l’émergence d’une stratification sociale et des élites dirigeantes, par exemple, sont d’après cette thèse le fait de qualités mentales communes à tous les humains.
L’approche matérialiste, défendue par un nombre croissant d’anthropologues, met quant à elle l’accent sur les conditions matérielles de vie, les sources d’énergie de l’environnement naturel, les technologies et les systèmes de production des groupes humains. Les influences de l’environnement sont également prises en compte car le développement de systèmes culturels complexes a été particulièrement favorisé par certaines conditions géographiques et climatiques. Par exemple, le Proche-Orient, à l’époque de la préhistoire, possédait une faune (cochons sauvages, moutons et chèvres) et une flore qui se prêtaient particulièrement bien à la domestication et la culture.
5 MÉTHODES ET APPLICATIONS
Les méthodes de recherche des anthropologues sont aussi variées que les sujets qu’ils étudient.
5.1 Recherches archéologiques
Pour les anthropologues archéologues, il est essentiel d’établir des schémas chronologiques, afin de relier dans le temps les activités humaines du passé dont on a retrouvé la trace. Parmi les méthodes de datation employées par l’archéologie moderne, la technique du carbone 14 est sans doute celle qui est la plus couramment utilisée. On sait en effet que les plantes et les animaux vivants contiennent des taux fixes d’une forme radioactive de carbone, appelée le carbone 14. Celui-ci se détériore à un rythme régulier pour donner du carbone non radioactif. En mesurant la teneur en carbone 14 de morceaux de charbon, d’échantillons de plantes, de fibres en coton, de bois, etc. il est possible de déterminer avec précision l’âge des matériaux.
L’âge des restes fossilisés de l’Afrique de l’Est, datant de plusieurs millions d’années, a été établi à partir d’une autre méthode radiologique, utilisant du potassium-argon. Le potassium radioactif (potassium 40) se désintègre extrêmement lentement pour produire de l’argon 40.
La datation des vestiges archéologiques s’effectue enfin par la stratigraphie, l’étude des couches sédimentaires qui se sont déposées progressivement à la surface de la terre et qui comportent des vestiges de l’activité humaine passée. Pour déterminer les séquences stratigraphiques, il est nécessaire de recourir à l’histoire géologique du terrain, à l’analyse du sol et des restes fossilisés d’animaux et de plantes, ainsi qu’à un véritable travail de détective, qui consiste à réunir les restes disséminés et lacunaires des constructions humaines.
5.2 Recherches sociales et culturelles sur le terrain
L’anthropologie sociale et culturelle a pour base une enquête sur le terrain au cours de laquelle l’observateur s’immerge dans la communauté ou l’organisation sociale qu’il veut étudier. Par des contacts quotidiens, réitérés longuement, il peut espérer établir une communication et se faire accepter, en montrant notamment — ce qui n’est pas toujours aisé — que ses objectifs sont désintéressés. Cette première étape de la recherche sur le terrain peut prendre des semaines, voire des mois, en particulier lorsqu’il faut apprendre la langue locale.
Les premiers ethnographes recueillaient leur information par un contact direct, le plus souvent en interrogeant quelques « informateurs-clés », choisis pour leur bonne connaissance de leur culture ; leurs témoignages étaient simplement rassemblés, recoupés et comparés avec les observations faites sur le terrain. Toutefois, les études des systèmes culturels complexes et en mutation nécessitent des outils méthodologiques supplémentaires. Des questionnaires structurés (sur des échantillons de la population) sont utilisés pour obtenir des informations précises sur les habitudes alimentaires et sanitaires, les ressources économiques, les migrations dictées par le travail, les loisirs, etc. Les données précises sur les transactions effectuées sur les marchés, les horaires de travail, les prises de poisson et de gibier, et la production agricole sont utilisées pour analyser la situation économique. Des tests psychologiques complexes sont effectués lorsqu’il s’agit d’étudier la personnalité des individus. Les informations des registres des mairies, des églises, les textes des municipalités, les rapports gouvernementaux, etc. sont également analysés.
De telles méthodes de recherche quantitatives et techniques ne peuvent toutefois remplacer le travail sur le terrain. Au contraire, des questionnaires détaillés, destinés aux informateurs, ainsi qu’une analyse qualitative élaborée des systèmes symboliques, rituels et culturels en général, conservent une place méthodologique essentielle.