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Cornélius Castoriadis

Cornélius Castoriadis

1 PRÉSENTATION

Castoriadis (1922-1997), philosophe français.

La pensée de Cornelius Castoriadis ne peut se comprendre en dehors de son engagement politique, tant pour lui l’exercice de la pensée a toujours été inséparable de la recherche de l’autonomie, collective et individuelle. Cela ne veut pas dire qu’il ait sacrifié la rigueur conceptuelle à ses positions éthiques ou politiques. Mais la philosophie et la lutte pour l’autonomie politique expriment pour Castoriadis toutes deux la même liberté du sujet humain, que n’épuisent pas l’entendement scientifique ou sa traduction politique, la technocratie. Orthodoxe dans l’hétérodoxie, tant par ses références (Aristote) que par sa thématique, Castoriadis a construit une œuvre riche et complexe, qui renouvelle les grandes questions philosophiques (celles du temps, de la création, du sujet) sans penser les épuiser, ce qui aurait été contraire à son ontologie de l’imaginaire créateur.

2 DE L’ENGAGEMENT COMMUNISTE À LA CRITIQUE DU MARXISME

Né en 1922 à Constantinople, Cornelius Castoriadis fait à Athènes des études de droit, d’économie et de philosophie. D’abord inscrit au Parti communiste grec, il devient trotskiste et rejoint en France (où il s’installe à partir de 1945) le Parti communiste internationaliste (PCI), section de la IVe Internationale, où il rencontre Claude Lefort. En 1948, tous deux fondent Socialisme ou Barbarie, après avoir quitté le PCI, dont ils considèrent insuffisante la critique du stalinisme. Socialisme ou Barbarie est également le nom de la revue qui paraîtra de 1949 à 1965, et qui proposera une réflexion d’une ampleur jamais vue jusqu’alors sur la notion de « socialisme » et sur le phénomène bureaucratique. Dès la fin des années quarante, Castoriadis montre, en effet, dans des articles qui seront repris dans la Société bureaucratique, que la bureaucratie soviétique n’est pas une forme parasitaire et transitoire du socialisme, contrairement à ce qu’affirment les trotskistes, mais qu’elle est une forme neuve des rapports d’exploitation, dans laquelle l’État détient les moyens de production, et qui exclut les individus de toute participation à la gestion de la production.

Le travail de Socialisme ou Barbarie amènera en définitive Castoriadis à s’interroger sur la pertinence du marxisme lui-même comme mode d’analyse des rapports sociaux. C’est ce que fera le philosophe dans « Sur le contenu du socialisme », en 1955-1958, et surtout dans « Marxisme et théorie révolutionnaire », en 1964-1965, qui sera repris dans la première partie de l’Institution imaginaire de la société.
Ces textes marquent la rupture de Castoriadis avec le matérialisme historique. Le marxisme a voulu en effet fonder rationnellement le projet révolutionnaire : or il n’a abouti qu’à une pseudoscience de l’histoire, qui est incapable en tant que telle de rendre compte de l’émergence de nouvelles formes historiques, parce qu’elle fait de l’histoire une totalité qui se déroule selon une logique inéluctable, un processus téléologique où la Raison hégélienne est remplacée par la rationalité économique. Le marxisme est donc une philosophie de l’hétéronomie, un scientisme déterministe, qui rend possible l’idéologie bureaucratique des pays de l’Est. Pour conserver toute son actualité au projet révolutionnaire, c’est-à-dire à un projet d’autonomie qui n’aliène pas l’homme à des forces ou à des lois transcendantes, il convient donc de rompre avec le marxisme et de promouvoir une philosophie qui considère l’histoire comme création, comme production de l’altérité et non comme répétition ou comme processus rationnel.

3 UNE PENSÉE DE L’IMAGINAIRE INSTITUANT

C’est ce que fait Castoriadis dans son grand œuvre, à savoir la deuxième partie de l’Institution imaginaire de la société. Ce n’est plus le scientisme marxiste qu’il dénonce, mais l’ontologie et la logique (la logique « ensembliste-identitaire ») qui dominent l’Occident depuis les débuts de la philosophie, et d’après lesquelles être c’est être déterminé : or cette ontologie et cette logique nous rendent incapables de penser le social-historique comme lieu d’une création continuée par un imaginaire instituant. La société se définit en effet généralement comme institution hétéronome, comme fondée par Dieu, la Raison ou comme répondant à des besoins (d’après l’idéologie fonctionnaliste). Or il s’agit de la voir comme instituée par un imaginaire social dont la caractéristique est d’être invention de formes, que seule pourrait décrire une « logique des magmas ». Il appartient donc au philosophe qui veut comprendre le monde social de redéfinir l’ontologie et la logique qui ont jusqu’ici présidé à la philosophie socio-historique jusqu’à Marx ; et il lui appartient surtout de saisir plus profondément l’Homme, non plus seulement comme sujet rationnel, mais comme sujet d’un imaginaire qui a jusqu’ici été le « parent pauvre » de la philosophie, et dont Castoriadis trouve en revanche des prémisses dans la psychanalyse freudienne.

La rupture avec Marx, les désaccords sur les questions politiques et sociales, et le tour de plus en plus personnel de la réflexion de Castoriadis provoquent la dissolution de Socialisme ou Barbarie en 1966-1967. Castoriadis, qui contribue à la formation en 1969 de l’Organisation psychanalytique de langue française (OPLF) ou IVe Groupe, devient alors psychanalyste à temps plein, et il publie les articles qui seront rassemblés dans les cinq volumes des Carrefours du labyrinthe.
Dans ces cinq tomes très composites, les analyses de Castoriadis portent à la fois sur des questions d’épistémologie, de philosophie, de politique et de psychanalyse.

En ce qui concerne la philosophie, Castoriadis tient à rappeler, contre les néopositivistes et ceux qui prophétisent la « fin de la philosophie », la nécessité d’une pensée libre, indissociable d’un projet politique émancipateur, dont la première formulation historique (la démocratie directe de l’Athènes du Ve siècle) coïncide précisément avec l’apparition de la philosophie. C’est pourquoi il met au premier plan la nécessité de constituer une ontologie qui prenne en compte la spécificité du social-historique découverte dans l’Institution imaginaire de la société. Cette ontologie, contrairement à celle de Heidegger, ne sépare pas la réflexion sur l’Être de la réflexion sur les étants et n’abdique pas devant la technoscience, mais montre au contraire que les questions que se posent les sciences sont plus que jamais des questions philosophiques (« Science moderne et interrogation philosophique », dans le tome I des Carrefours du labyrinthe).
En ce qui concerne la psychanalyse, sa lecture extrêmement critique de Lacan l’amène à rejeter la vision structurale de l’inconscient et à faire de l’autonomie du sujet la finalité de la psychanalyse, conformément au vœu de Freud : « Où Ça était, Je dois devenir. »

Devenu directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales en 1980, Cornelius Castoriadis est mort des suites d’une maladie cardiaque le 26 décembre 1997. Les séminaires qu’il a tenus au cours de l’hiver 1986 Sur le “Politique” de Platon ont fait l’objet d’une publication posthume en 1999.

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